La CNUCED appelle les pays a faire circuler les données numériques pour le bien commun
Le monde a besoin d'une approche innovante en matière de gouvernance mondiale pour permettre aux données numériques de circuler entre les pays aussi facilement que nécessaire et aussi librement que possible, selon le Rapport sur l'économie numérique 2021 de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) publié le 29 septembre.
Selon la CNUCED, cette nouvelle approche devrait permettre à la fois de maximiser les gains du développement, de garantir une répartition équitable de ces gains et de réduire au minimum les risques et les dangers.
Elle devrait également permettre le partage des données à l'échelle internationale, le développement de biens publics numériques mondiaux, le renforcement de la confiance et la diminution des incertitudes au sein de l'économie numérique.
Le rapport démontre que ce nouveau système mondial devrait également contribuer à éviter une fragmentation encore plus poussée de l'internet, à relever les défis politiques découlant des positions dominantes des plateformes numériques et à réduire les inégalités existantes.
« Aujourd’hui, il est plus important que jamais de s'engager sur une nouvelle voie pour la gouvernance du numérique et des données », déclare le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres, dans la préface du rapport.
« Le paysage fractionné actuel des données risque de nous empêcher de nous emparer de la valeur qui pourrait découler des technologies numériques et d’ouvrir plus grand la porte aux préjudices substantiels qui découlent entre autres des atteintes à la vie privée, et des cyberattaques. »
Comme le déclare la Secrétaire générale de la CNUCED, Rebeca Grynspan : « Il est urgent de remettre l'accent sur la création d'une vraie gouvernance mondiale pour le numérique et les données, de développer des biens publics numériques mondiaux, de développer la confiance et de limiter les incertitudes liées à l'économie numérique. La pandémie a démontré entre autres l'importance cruciale du partage des données de santé au niveau mondial – la question de la gouvernance numérique ne peut plus être retardée. »
La pandémie met en évidence la nécessité d'une nouvelle gouvernance
Les données numériques jouent aujourd’hui un rôle de plus en plus important en tant que ressource économique et stratégique, une tendance qui a été renforcée par la pandémie de COVID-19.
La pandémie a notamment démontré l'importance du partage des données de santé au niveau mondial à la fois pour aider les pays à faire face à ses conséquences, et à des fins de recherche pour trouver un vaccin.
« Les défis posés par l'interconnexion et l'interdépendance accrues au sein de l'économie mondiale des données nécessitent de s'éloigner de l'approche traditionnelle en silo pour adopter une approche globale plus holistique et mieux coordonnée », a déclaré Isabelle Durant, Secrétaire générale adjointe de la CNUCED.
« En plus, il est urgent de mettre en place des modes de gouvernance mondiale nouveaux et innovants, car les anciens modes ne sont sans doute plus réellement adaptés à ce nouveau contexte », a-t-elle ajouté.
Appel à la création un nouvel organe des Nations Unies consacré aux données
La CNUCED propose la création d'un nouvel organe de coordination des Nations Unies, axé sur l'évaluation et le développement d'une gouvernance mondiale structurée et détaillée pour le numérique et les données, et doté des compétences nécessaires à cet effet. Les travaux de cet organisme devraient être multilatéraux, multipartites et multidisciplinaires.
Il devrait également chercher à pallier la sous-représentation actuelle des pays en développement dans les initiatives mondiales et régionales en matière de gouvernance des données.
De plus, cet organisme devrait venir compléter les politiques nationales de manière cohérente et assurer une marge de manœuvre suffisante aux pays ayant des niveaux différents de préparation et de capacités pour le numérique, afin qu’ils puissent aussi tirer profit au mieux de l'économie numérique basée sur les données.
Mettre fin aux disparités en matière de gouvernance des données : une priorité absolue.
Selon le rapport de la CNUCED, le contexte mondial actuel se caractérise par des approches divergentes de la gouvernance des données, notamment de la part des trois principaux acteurs – les États-Unis, la Chine et l'Union européenne (UE).
L'approche américaine est axée sur le contrôle des données par le secteur privé, le modèle chinois met l'accent sur le contrôle des données par le gouvernement, tandis que l'UE privilégie le contrôle des données par les individus eux-mêmes, sur la base des valeurs et des droits fondamentaux.
Shamika N. Sirimanne, directrice de la division la technologie et de la logistique à la CNUCED, a déclaré que l'absence d'un cadre mondial de gouvernance des données entrave la capacité des pays à tirer parti de l'économie numérique.
Elle entrave également leur capacité à protéger la vie privée des individus face à l'utilisation potentiellement abusive des données par le secteur privé et le gouvernement, et à répondre aux préoccupations liées à l'application de la loi et à la sécurité nationale.
« Nous avons besoin d'un nouveau cadre réglementaire qui tienne compte à la fois des dimensions économiques et non économiques, et qui puisse fonctionner pour tous les pays, quel que soit leur niveau de préparation au numérique », a remarqué Mme Sirimanne.
Elle a notamment souligné le fait que cette nouvelle approche permettrait non seulement aux pays de mieux tirer profit des données en tant que bien public mondial, mais aussi de s'entendre sur les droits et les principes qui devraient s’appliquer, de développer des normes communes et de renforcer la coopération internationale.
Et alors qu'une plus grande attention est accordée aux données au niveau mondial, le débat international sur la gouvernance des flux transfrontaliers des données est dans une impasse en raison des divergences de vues et de positions sur leur réglementation. La nouvelle approche proposée par la CNUCED en matière de gouvernance mondiale des données pourrait contribuer à l'élaboration d’un compromis.
Selon le rapport, les cadres réglementaires régionaux et internationaux actuels ont tendance à avoir une portée trop limitée ou une couverture géographique trop restreinte. De fait, ils ne parviennent pas à favoriser les flux de données transfrontaliers de manière à répartir équitablement les gains liés au développement économique tout en gérant au mieux les risques.
La fracture liée aux données laisse les pays en développement à la traîne
Le rapport met en garde contre l'émergence d'une fracture liée aux données, à mesure que l'économie numérique basée sur les données évolue. Ainsi, de nombreux pays en développement sont en train de devenir de simples fournisseurs de données brutes aux plateformes numériques mondiales, alors qu’ils doivent dans le même temps payer pour avoir accès à l'intelligence numérique obtenue à partir de leurs propres données.
Selon le rapport, les États-Unis et la Chine sont les pionniers de l'exploitation des données. Ils possèdent 50 % des centres ‘HyperScale’ de données au monde, ont les taux d'adoption de la 5G les plus élevés, concentrent 70 % des meilleurs chercheurs en intelligence artificielle (IA) et fournissent 94 % des financements des startups en matière d'IA.
Ces deux pays représentent également environ 90 % de la capitalisation boursière des plus grandes plateformes numériques, et leurs bénéfices et leurs valeurs de capitalisation boursière ont fait un bond considérable pendant la pandémie.
Les cours boursiers des sept plus grandes plateformes numériques au monde ont augmenté de 55 % (Facebook) à 144 % (Apple) entre octobre 2019 et janvier 2021.
Des plateformes mondiales de plus en plus gargantuesques
Alors que la course à la première place en matière de développements technologiques fait rage pour gagner toujours plus d’avantages économiques et stratégiques, les plateformes numériques mondiales continuent d'étendre leurs propres écosystèmes de données et prennent progressivement le contrôle de toutes les étapes de la chaîne de valeur mondiale des données.
Selon le rapport, il devient donc de plus en plus difficile d'envisager une réglementation des flux transfrontaliers de données sans considérer une gouvernance des entreprises numériques.
Les conclusions du rapport alimenteront les débats de la 15e conférence quadriennale de la CNUCED, qui se tiendra en ligne du 3 au 7 octobre.